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Aujourd’hui, c’est le RaysDay, la fête de la lecture, des auteurs et des livres. Une fête artisanale où on partage, échange, etc.

Depuis quelque temps, j’ai pour projet un roman érotique. Il n’a pas de titre, dans ma tête, c’est le « projet Incube ».

En voici le prélude et son 1er chapitre, en espérant que la suite me vienne vite et que j’aie le temps de l’écrire 😉

Prélude — Pln disrcet

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Les yeux plantés dans son regard qui me dévore, je déboutonne ma chemise. Je prends le temps de frôler les pans du tissus avant de les écarter d’un geste vif. La caresse d’un air qui s’engouffre entre mon torse et la fine toile n’est que le léger prélude à celles que me promettent ses yeux suppliants.

Il veut que j’arrête. Surtout pas. Que je continue. Cesse.

Trop facile. Ça se voyait déjà sur son profil. Celui d’un mec qui débute sur l’appli, qui tente sa chance pour la première fois en tremblotant une annonce digne des vieux numéros du Chasseur Français sur le clavier tactile de son smartphone. « H mûr ch 1eère expérience. Pln disrcet ». Le genre quarantenaire corporate qui ne montre son visage que sur les photos privées. Sait-on jamais si bobonne ou un collègue emplacardé le retrouvent et géolocalisent son envie… subite.

Je l’ai ferré comme une truite de pisciculture. Avec mon profil de latin-lover sapé, celui qui a déboutonné juste assez sa photo pour montrer que le torse velu et brun est carrément bien dessiné. La photocopie d’Antonio Banderas, mais en brun, comme le dirait Justine.

Non, faut pas que je pense à mes délires entre copines maintenant. J’ai un quadra sur le feu, tremblant entre désir et interdits, mûr comme une acné de puceau. Il est temps de le mettre entre de beaux draps. Viens, viens monsieur, que Federico te montre ce que tu n’oses jamais t’offrir. Viens là, toi qui n’oses pas, car ce soir j’ai faim.

Je me retourne pour qu’il voit le tissu de ma chemise glisser lentement sur mes épaules charpentées, le long des muscles de mes biceps si volontairement sculptés, pour finir par dévoiler le V indécent formé par ce dos à couleur parfaitement caramel. (Pantone 44–2 C)

Dans mon dos, je l’entends déjà s’essouffler de désir, perdu entre son envie montante et ses pensées pour la petite vie bien rangée construite malgré lui… Femme morte d’ennui et enfants blasés sagement rangés dans une résidence de luxe qu’il voit s’écrouler comme un château de carte. Pas d’inquiétude, monsieur, avec un peu de chance mon prochain mouvement sera le coup de grâce.

Le tissus en microfibres rose tombe enfin à terre, lui révélant la toile de mon jeans taille basse, bombée à bloc par un fessier musclé et velu, dont les pommettes saillent par-dessus la ceinture. Oui, monsieur, tu as bien vu : je ne porte pas de slip.

Je me retourne. Il se laisse captif de mon regard pénétrant. Halète. Caresse des yeux les lignes de mes abdominaux. Expire. S’abandonne. Vit un véritable orgasme sans même se toucher. À table.

Merde, encore un qui ne ferme pas les yeux. Il faut que je fasse vite si je veux me repaître de son énergie. Lui masquer le visage de la main ? Non, trop risqué, ça pourrait le couper dans son extase. Tant pis, je me penche sur lui pour tenter le coup du baiser. Rouler une pelle d’enfer fait souvent fermer les paupières. Qu’on ne me demande pas pourquoi, c’est pas moi qui fait les règles. Moi, je suis juste celui qui s’en nourrit.

Alors que mes lèvres se soudent aux siennes, ses paupières se ferment. Enfin. Enfin je peux laisser l’énergie couler jusqu’à mon insatiable soif. Bon sang que j’en avais besoin. Je pourrais presque cartographier dans son corps les fils d’argent qui se dénouent en lui. Ces poches de désirs réprimés qui se vident, les tensions qui se lâchent et m’abreuvent d’un nectar irisé. Garde les yeux fermés, monsieur, ne les ouvre pas. Il n’y a que quand je mange que l’on peut voir l’ébène et la corne de ma forme véritable.

Mes repas durent toujours un seconde d’éternité. Vient la seconde suivante. Celle où il s’écroule, vidé et ravi. Puis il réalise. Que son jean est souillé et qu’il n’est qu’au début des découvertes de ce vers quoi il a toujours tendu. Qu’il est épuisé et que moi je n’aurais pas eu mon compte… Ah mon bon monsieur, si tu savais… Il se débat dans le brouillard d’hormones extatique qui l’entoure pour bredouiller une excuse quelconque.

Je lui pose un doigt tendre sur ses lèvres : « C’était parfait. Tu es beau. » Je le quitte d’un baiser sur la bouche, lui laissant en souvenir une chemise en microfibres rose et le premier orgasme du reste de sa vie.

01 — Grand latte, one shot.

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« T’as pas fait ça ?! Tu l’as pas laissé en plan dans sa chambre d’hôtel comme un vielle chaussette souillée ??? Sérieux, Kuma, t’abuses ! »

Les exclamations aiguës de Justine résonnent sur toutes les tables en ardoise du One Shot. Heureusement, notre coffee shop est encore fermé, sinon toute ma clientèle m’aurait pris pour la salope de service…

J’aime nos discussions du lundi matin, quand les grains torréfiés se font broyer dans le moulin, et répandent leur odeur au-delà du comptoir d’aluminium brossé. Quand Justine met en place les fauteuils et chaises alors que je prépare les litres de thé et fais l’inventaire. Des discussions intimes au milieu de mes lambris vides de toutes ces personnes qui viendront y partager un moment de plaisir. Il n’y a que mes aventures, Justine et moi.

Et Noé, qui lui répond depuis l’arrière-boutique où il finit de découper et présenter ses pâtisseries :

« Arrête, Justine, il avait eu son compte pour la soirée. Une nuit d’amour avec le fameux Federico, et il nous aurait fait un arrêt cardiaque, le pépère…

– C’est vrai qu’il est à couper le souffle, son Federico… La photocopie de Gael Garcia Bernal…

– … Mais en brun ! » concluent-ils en chœur.

Mes deux salariés éclatent d’un rire complice. Noé et Justine ne sont pas que mes employés : ce sont les deux humains qui partagent actuellement mon secret et se délectent des histoires croustillantes derrière chacun de mes repas. Les deux personnes qui me permettent de me rappeler comment agir en humain. C’est assez pratique, quand on ne l’est pas soi-même.

« Dis, Kuma… tu veux pas te changer en Federico, viteuf’ ? S’te plaîiiiiiiit… Ça fait longtemps que je l’ai pas vu, moi… »

Je n’ai même pas le temps de lui répondre que Noé sort de son arrière-boutique les bras chargés de plateaux de pâtisseries :

« Laisse-le tranquille, Juju, et viens m’aider à la mise en place. On ouvre dans dix minutes. »

Ouf : sauvé par le diabète en barres. Aucune envie de changer de corps maintenant. D’une part parce que les fringues moulantes de Kuma, bel asiatique élancé, craqueraient sous la musculature brute de Federico… Et surtout parce que polymorpher, ça crame un peu de l’énergie, et moi je compte bien faire durer celle avalée la veille lors de l’extase de mon quadra corporate. Quand un Incube a su rester en vie quelques siècles comme moi, c’est qu’il a appris à faire durer son mana vital entre chaque repas.

Ça n’a pas été facile, de me trouver des compagnons qui partageraient mon secret sans fuir vers le premier bénitier venu. Coucou, tu veux voir mes cornes ? Hello, je suis un démon du sexe polymorphe et multicentenaire, qui se nourrit de l’énergie de libération sexuelle de ses amants… tu veux bien être mon ami ? Mouais. On a vu mieux, comme entrée en matière.

Pourtant, j’ai toujours plus ou moins su me débrouiller pour dégotter des humains qui partageraient ma route et m’expliqueraient leur air du temps… Quand on affiche pas mal de siècles, villes et vies au compteur, on peut finir en toge à proposer une orgie dans un salon victorien. Mes deux gardes-fous du moment me servent à interpréter les codes de leur petite bulle éphémère, de leur vie toujours prête à éclater. C’est important de savoir les codes, sinon comment peut-on les transgresser ?

Là, je peux dire que j’ai eu du bol. Justine est une espiègle qui n’a peur de rien, toujours avide d’entendre mes aventures et de s’en repaître goulûment. Il faut la voir promener ses plateaux parmi les clients du One Shot, débarrassant les tasses à grands renforts de réparties espiègles : « Il vous faut autre chose ? Wi-fi, chantilly, gâterie…? »

Avec ses cheveux multicolores dont elle range les frisures en petits chignons espiègles, son indécrottable rouge à lèvres cerise, ses résilles et sa veste pleine de badges, elle répand autant de joie autour d’elle (et fait couler autant de salive) que les rainbow cake de Noé.

Noé, lui, est un homme posé. Ses gestes mesurés sont sereins et imposent le calme autour de lui, même en plein rush. L’attention qu’il porte à chaque cookie, au moindre cupcake fait que l’on reçoit ses pâtisseries comme autant de cadeaux précieux. Il a un de ces visages étranges, hâlés, aux pommettes saillantes et aux traits si dessinés qu’ils ne semblent révéler aucune origine particulière. Peut-être son visage vient-il de Botoxie, tant l’âge ne semble pas se marquer dessus. Qu’importe, tant qu’il donne faim. Enfin… moi j’y ai déjà goûté.

« Kuma, tu me reluques les fesses. » Les basses tranquilles de la voix de Noé me sortent de mes divagations. Il ajoute : « Non pas que ça me dérange, d’ailleurs. C’est vrai qu’elles sont belles, mes fesses.

– Oui. Mais non, Noé, je n’étais pas en train de te mater. J’étais juste perdu dans mes pensées.

– C’est drôle, on dirait que tu mates des fesses, quand tu penses…

– Réflexe professionnel, sans doute. Noé sourit, flatté.

– Allez, range tes cornes et reviens sur terre, démon, qu’il est l’heure d’ouvrir. »

J’ai de la chance d’avoir trouvé ces deux-là. Peu d’humains arrivent à se sortir du crâne les morales manichéennes entretenues par des millénaires de publicitaires religieux. Je les ai vus, ces curaillons en aubes, en turbans et en safran, faire carrière sur mon dos. Justine et Noé, eux, savent que je ne veux aucun mal. Je ne suis même pas un prédateur sexuel. Juste quelqu’un qui a besoin de manger… une nourriture particulière.

Ainsi je peux chasser dans mon coffee shop. Cela ne les dérange pas, à mes compagnons… voire, ça les amuse. Entre deux cartes de fidélité et trois buble tea, ils me voient parfois afficher mon sourire éclatant d’asiatique sans âge, ce sourire qui tire légèrement les tendons de mon cou, juste assez pour mener les yeux vers le col en V de mon T-Shirt moulant de légers pectoraux qu’on aimerait griffer.

Quand le couple d’étudiants arrive à ma caisse, j’entends Justine murmurer à Noé : « Ayé, regarde, il va faire son chat. » Elle n’a pas tort. Mes clients ont l’air d’être venu prendre un peu de réconfort et de caféine avant un cours d’éco-droit.

Lui, avec ses cheveux blonds savamment rangés d’une mèche sur le côté, doit étouffer chaque matin en boutonnant le col de sa chemise fraîchement repassée. Désolé, garçon, cela ne cache pas totalement le tatouage qui remonte vers ton cou. Elle porte un pull trop moulant par-dessus son chemisier, et a dû passer des heures à ranger chacune de ses mèches pour leur donner cet effet négligé.

Hum… rectification : pas éco-droit. Science po, option socio. Je prépare leur boisson en rendant chacun de mes gestes graciles, direct, évident. J’attrape le saupoudreur de pralin de secours, celui sur l’étagère du haut, rien que pour pouvoir étirer ma colonne vertébrale, leur présenter ma cambrure et voir si un de leurs regards mord à l’hameçon moulé par mon slim. Gagné. J’ai une touche. Même deux. Encore mieux.

Arrive le rituel de l’échange : je leur tends leurs boissons pendant qu’ils me présentent leur carte, et chacun se demande si à nous trois nous aurons assez de bras. Je les laisse se dépêtrer quelques secondes, juste le temps d’exsuder tout le charme que j’ai en moi. Quand un Incube vous charme, ce n’est pas une expression : c’est un sort. Une influence qui attise les braises de votre désir afin que la chaleur vienne empourprer vos joues ou vous brûler le ventre. Ayant été bien nourri hier soir, on peut dire qu’ils en prennent pour leur grade.

C’est là, dans leur trouble, que je remarque le détail subtil : leurs bras se sont frôlés et écartés direct, électrisés. Lui se raidit pour faire comme si rien ne s’était passé, et elle tente de réprimer un rose qui lui monte pourtant aux joues. Mes deux étudiants n’osent pas se toucher… car ils en crèvent d’envie. De mieux en mieux, ils ont autant envie l’un de l’autre qu’ils ont envie de moi. Et ils ne le savent pas… parfait. J’interromps leur gêne :

« Laissez vos cartes sur le comptoir et allez vous asseoir, je vous apporte votre plateau avec une petite friandise offerte par la maison. C’est quoi vos petits noms ?

– Adrien, répond-il, trop vite.

– Mel, ajoute-t-elle avec un chat dans la gorge.

– Moi c’est Kuma. Allez, prenez une table. » J’ai l’outrecuidance d’ajouter un clin d’œil au velours de ma voix. Avec des petits jeunes aussi gauches, la subtilité n’est pas de mise.

À peine sont-ils assis à leur table que j’approche avec mon plateau sur lequel j’ai ajouté les fameuses sucettes au gingembre de Noé. Je pose le plateau en la frôlant elle, puis me redresse en m’appuyant sur son épaule à lui. Je les sens prêts à sécher les cours sur le champ si je le leur demande… mais non. Je me réserve ce plat de résistance pour plus tard. J’ai un plan. Les friandises sont accompagnées d’un numéro de téléphone.

Mon prochain repas me sera livré sous peu.

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